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Grain à moudre #3 – De l’hibernation au printemps

Lorsque l’on a organisé notre tout premier évènement Mix Ton Smoothie au Malting Pot pendant les Nuits Sonore 2019, les gérants du lieux nous ont proposés de contacter Denis AKA D2MITO. L’évènement questionnait notre rapport à l’alimentation responsable: comment cultiver en ville, valoriser les paysans de la région, transformer des fruits destinés à la poubelle en délicieux smoothie… Dès notre première rencontre avec D2MITO, nous étions heureux de découvrir que l’on partageait les mêmes valeurs, et notamment avec son collectif Anemophonics : ramener la fête dans le mouvement de transition. Sans plus attendre nous vous laissons apprécier la douce plume de Denis, qui nous donne beaucoup de Grain à Moudre à travers ce texte qui nous touche en plein cœur et ce mix qui nous donne le groove.

Hibernation. La période que l’on traverse est propice à cette activité. Tout au moins, elle le serait si l’Homme disposait de cette faculté. J’ai rêvé en début d’année, au cœur d’une période hivernale froide et pluvieuse, de pouvoir dire au reste du monde : « je vais hiberner, revoyons-nous dans quelques mois ».

Cela fait maintenant presque un an que j’hiberne, si on excepte la douce parenthèse estivale de 2020. Une impression désagréable de ne rien rater. Pas de fête, de sortie en amoureux au cinéma, encore moins de festivals de musique. On ne rate rien car la fête est finie. Interrompue de manière durable.

Graines. Les graines, elles aussi, hibernent à leur façon. Elles restent tapies sous le manteau neigeux jusqu’à ce que les rayons du soleil leur fassent redécouvrir la lumière.

C’est le mois d’avril 2021 et nous sommes tous à notre façon des graines sous un épais manteau neigeux. Un manteau qui fond beaucoup, vraiment beaucoup, moins vite que prévu. La patience n’est pas mon fort, alors je me concentre sur quelques idées pour faire voyager mon esprit. Le manteau est là, certes. Il est fort épais et coriace, d’accord. Mais sous lui, nous pouvons encore nous autoriser à vivre. Redécouvrir des plaisirs simples, prendre à nouveau le temps de cuisiner. Suivre les arrivages des légumes sur les étalages à chaque saison saison, reprendre goût aux plats de grands-mères que l’empressement de la vie citadine nous avait empêché de faire mijoter. Gnocchi faits main en sauce tomate, lasagnes, velouté de lentilles aux épices, pizzas maison, légumes au four, arroz y frijoles (pour les amateurs de plats cubains), et plein d’autres délices préparés et dégustés.

Des mixes aux miches. Un jour l’envie m’a (re)prise de faire mon pain quotidien. Un nouveau rituel. Comprendre ce que l’on y met, s’intéresser aux ingrédients. Par le choix des farines c’est aussi celui de notre modèle agricole que l’on entrevoit en filigrane. La technique de pétrissage et le respect du temps pour que la pâte lève, le souci du travail bien fait. Pourquoi courir chercher son pain alors que l’on est enfermé et que l’on a le temps d’attendre ? Le goût du pain chaud à la sortie du four est incomparable, et même encore meilleur avec le sentiment du travail accompli. Prisonnier physiquement mais parvenant presque à posséder le temps. D’ordinaire il était toujours trop rapide, m’échappait, filait entre mes doigts. Récemment j’ai eu l’impression de parvenir à le rattraper.  

En bon citadin, je me suis rendu compte qu’en me servant physiquement de mes mains (taper à l’ordinateur n’étant pas une activité manuelle à mes yeux), je parvenais à une certaine libération de mon esprit. J’ai parfois l’impression que l’école a cherché à me « formater », en opposant les activités manuelles et intellectuelles. La vérité est plus nuancée il me semble, nous gagnerions en ouverture d’esprit à ne pas enfermer les personnes dans des cases. Est-ce que dans le monde post-confinement on pourra rêver d’être « ingénieur-boulanger » quand on sera grand ?

La terre. Depuis le dernier étage de mon immeuble, j’admire les toits en zinc et les clochers de la capitale, mais la terre me semble loin. Ce n’est pas l’absence d’ascenseur pour descendre du 7ème étage qui me fait penser cela, mais plutôt la minéralité toute puissante de la ville de Paris. Il me faut 10 minutes à pied pour accéder à un espace vert et je n’ai pas l’impression d’être trop mal loti pour un habitant de la capitale. Pendant le confinement, j’ai observé avec espoir des herbes et des fleurs violettes pousser entre les interstices du goudron, je les ai admirées et même prises en photo. Puis j’ai observé avec un pincement au cœur des hommes que l’on avait missionnés pour « nettoyer » à coup de karcher ces herbes folles. Est-ce que le goudron est plus propre que le végétal ? Depuis le confinement je glane des plantes diverses. Fleurs, plantes aromatiques ou décoratives, chacune trouve son utilité. Semer, arroser, bouturer, sont des petites choses qui embellissent mon quotidien, et nous rappellent que nous pouvons (re)trouver dans la nature une beauté qui nous dépasse.

Racines. Enfermés, nous prenons racine en quelque sorte. L’introspection nous permet de nous interroger sur qui nous sommes, de qui nous descendons. Sans remonter trop en arrière, les modèles des parents et grands-parents nous apprennent beaucoup de choses sur nous-mêmes. En pensant à mon père et mes grands-pères dans leur jardin, ou à ma mère et ma grand-mère qui font leur pain comme mon arrière-grand-père boulanger, j’ai compris que la réponse n’était pas si lointaine. On peut détruire l’herbe qui a poussé entre des plaques de béton mais elle repoussera. Dissimulons une envie de retour à la terre, elle reviendra.

Printemps. Il ne me reste que quelques lignes et le printemps approche déjà. Les graines électroniques sont toujours sous la neige mais une chose est sûre, cette dernière est sur le point de fondre et libérera enfin leurs énergies positives et engagées.

Je remercie vivement les organisateurs des Graines électroniques de m’avoir laissé cet espace d’expression. C’est promis, nous nous retrouverons sur un dancefloor ou dans un jardin dès que la neige aura fondu.

D2MITO – avril 2021

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